MY ABSOLUTE DARLING
Gabriel TALLENT
Editions Gallmeister (2018)
Ce roman est arrivé en France précédé d'une réputation flatteuse. Il est aussi, et cela rebutera de nombreux lecteurs, glauque et violent. Turtle, une adolescente de quatorze ans, vit seule avec Martin, son père. Sa mère est morte quand elle était jeune, on ne sait pas vraiment comment, accident ou suicide ? L'emprise que son père, écologiste à tendance survivaliste, a sur elle est terrifiante : « Tu es à moi », ne cesse t-il de lui répéter, y compris pour assouvir ses besoins sexuels. Violent et manipulateur, il soumet Turtle (qu'il appelle Croquette, qui s'appelle Julia en réalité) à son désir et l'isole du monde extérieur, cherchant à contrôler le moindre de ses faits et gestes. Chaque matin, il va avec elle jusqu'au bus scolaire. « Tu n'es pas obligé de m'accompagner », lui dit Turtle, « Je sais », lui répond-il.
Le sujet de la maltraitance (qui va au-delà du viol et de l'inceste), s'il est très fréquent en littérature, est ici traité de manière tout à fait originale. Gabriel Tallent déconstruit nos préjugés. Non, la maltraitance ne concerne pas que des individus frustres ou illettrés : le père de Turtle lit les philosophes, cite Kant ou Descartes, pourtant il est un tortionnaire. Non, il n'est pas si facile pour la victime de s'émanciper de l'emprise du bourreau. Et oui, les sentiments qu'on éprouve envers lui sont ambivalents : jusqu'au bout, Turtle dira ''Je t'aime'' à son père tout en ayant conscience du mal qu'il lui fait. Les monologues intérieurs de la jeune fille, une des grandes forces de ce roman, sont édifiants.
Malgré la noirceur du sujet, le roman de Gabriel Tallent s'autorise quelques échappées écologiques ou drôles qui soulagent le lecteur ; tout comme l'amitié de Turtle avec Jacob ou le soutien de son professeur Anna, la première à avoir compris qu'il se passait quelque chose d'anormal, nous réconfortent dans les capacités des individus à construire des relations chaleureuses et à s'extirper du gouffre.